ATTAC-54

Menu

Offensive contre l’environnement à Bruxelles, Paris et Strasbourg (Édito – été 2025)

Alors qu’on s’attendait à une résistance de l’Europe face aux déréglementations voulues par Trump à propos du climat et de l’écologie, on assiste au contraire à une remise en cause de certaines règles qui vont dans le même sens que celles mises en œuvre par le président américain. Ainsi, de manière inattendue, la Commission européenne a sabordé quatre textes du Pacte vert qu’elle avait elle-même défendus au cours de son précédent mandat. Au prétexte de « renforcer la compétitivité des entreprises »,  il est prévu par exemple de revenir sur « le devoir de vigilance » qui devait contraindre les entreprises à lutter contre la violation des droits humains et les dégâts environnementaux. Ce qui est moins surprenant, c’est que le Parlement européen, dominé par la droite, a emboîté le pas à cette volonté de « simplifier les normes ». Quant aux députés socialistes français, ils n’ont même pas eu le courage de s’y opposer frontalement. C’est cette même logique que l’on retrouve en France à l’Assemblée nationale dans le projet gouvernemental de « simplification de la vie économique ». Toutes les mesures prévues par ce texte n’ont pas encore été complètement validées, mais on peut d’ores et déjà relever la satisfaction de la droite sur bon nombre de points : proposition de réouverture du chantier de l’ A69, dévoiement de « l’objectif de zéro artificialisation des sols » par des amendements qui le vident de sa substance, propositions d’amendements contre l’Office français de la biodiversité et l’Agence de la transition écologique.

Bien que les indicateurs concernant le dérèglement climatique soient tous au rouge, une majorité de députés, à Paris comme à Strasbourg, ont décidé de revenir sur les récentes avancées réglementaires en matière d’écologie. Il reste donc au mouvement social et aux ONG à préparer la riposte qui nous évitera le pire.

N’ayons pas (trop) peur des masculinistes

« Sérieusement, Madame, vous trouvez ça drôle ? » C’était pendant un de mes cours de français, on venait de regarder la première scène de cette pièce de Molière restée d’une très grande actualité, Le médecin malgré lui. Cette dénonciation de certains travers de notre société est d’une incroyable actualité, mais ce final de la scène d’exposition censé être comique, avec Sganarelle qui bastonne Martine… est-ce toujours drôle ?

La bonne nouvelle, c’est que ça fait moins rire qu’avant. Pas de quoi fanfaronner cependant, quand on entend certains propos tenus dans les cours de récréation des collèges, des lycées, propos où la misogynie la plus crasse le dispute à la crudité la plus sordide.

Et le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes d’enfoncer le clou lorsqu’il avance qu’un quart des hommes entre 25 et 34 ans pensent qu’il faut parfois être violent pour se faire respecter (début 2024). À la décharge de nos jeunes mâles dopés à la testostérone, ils ont de bien vilains exemples devant eux, modèles de force brute, brutale, décomplexée : Trump qui lance l’armée contre son propre peuple, Poutine à l’origine d’une guerre aussi injuste que meurtrière, Netanyaou responsable de ce qu’il faut bien appeler le génocide délibéré d’un peuple, Milei et Musk qui se montrent prêts à détruire à la tronçonneuse tout ce qui les gêne… Des mecs qui font étalage de leur virilité en somme, tant nous voici désormais évalués à l’aune de celle-ci. Donc par définition, seuls les hommes peuvent être évalués.

Ces manifestations exacerbées de ce qu’on appelle désormais le masculinisme – un courant qui prône sans ambiguïté un système violent et patriarcal – sont-elles le signe que le monde est en train de changer, de se radicaliser pour le pire, ou sont-elles au contraire une sorte de chant du cygne ? Les manifestations violentes et de plus en plus spectaculaires des masculinistes ne sont-elles pas la marque de l’énergie du désespoir de qui se sait voué à disparaître ? Car la société a progressé, l’égalité femme-homme a progressé, pas assez, mais suffisamment pour qu’un complet retour en arrière soit difficilement envisageable.

Comment continuer ce chemin vers la vraie égalité, loin des manifestations virilistes hystériques – oui, c’est un oxymore, et alors ? Éduquer, éduquer, éduquer ! Les garçons et les filles. L’égalité est un combat à mener ensemble. Pour une société juste. Mais aussi pour une société où les services publics fonctionnent mieux, pour le bien de tou.te.s… C’est quoi, le rapport ? Je laisse Anne-Cécile Mailfert, directrice de l’OEEF (Observatoire de l’émancipation économique des femmes) l’expliquer mieux que moi : « Le coût de la virilité, c’est de regarder combien coûte une femme, et combien coûte un homme à l’État français. On se rend compte par exemple que 95 % des détenus sont des hommes ! Pourquoi ? L’éducation. Et combien ça coûte que les hommes soient mal élevés ? […] 96 milliards d’euros chaque année… » (Fakir n°117, mai-juillet 2025)

Éduquer, vraiment éduquer nos gamin.e.s, permettrait de développer nos hôpitaux, nos crèches, nos EHPAD, nos écoles… à hauteur de 100 milliards d’euros par an. Ce qui est loin d’être négligeable. Alors le jeu en vaut la chandelle, pour une société à la fois digne, juste, et efficace. Il est plus que jamais nécessaire de poursuivre le combat de l’égalité, dans le calme et l’union, sans se laisser fasciner par ce que nous espérons être les ultimes manifestations de violence d’un mouvement voué à s’éteindre.

Du plomb dans l’aile d’une agriculture plus durable

Les récentes remises en cause tous azimuts des avancées environnementales (voir l’édito de ce mois) trouvent leur point d’orgue en France dans la récente proposition de loi Duplomb, du nom d’un sénateur LR de Haute-Loire, par ailleurs exploitant agricole et membre de la FNSEA. Cette dernière prône une agriculture intensive et productiviste, incompatible avec les objectifs environnementaux de l’accord de Paris de 2015. Sans surprise donc, la proposition de loi va tout à fait dans ce sens.

Adoptée en novembre par un Sénat à majorité de droite, elle a ensuite été rejetée en première lecture par l’Assemblée nationale. Le gouvernement, sous la pression des lobbies et avec l’aide des députés LR, a eu alors recours à une entourloupe pour la faire examiner ce 30 juin en commission mixte paritaire – dominée par une droite favorable au texte –, la soustrayant ainsi aux amendements des écologistes et des insoumis. Le texte reviendra en juillet dans les deux assemblées pour une deuxième lecture, sous une forme très proche de celle adoptée par le Sénat en novembre. En escamotant de la sorte le débat parlementaire, le gouvernement effectue un bien peu démocratique passage en force.

Que dit-elle, cette proposition de loi ? Selon ses promoteurs, elle vise à « lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur ». Aussi prévoit-elle notamment de :

– mettre fin à l’interdiction d’utiliser certains pesticides (dont des néonicotinoïdes « tueurs d’abeilles ») dangereux pour l’environnement et pour la santé des citoyens, et plus particulièrement celle des agriculteurs eux-mêmes; une lettre ouverte adressée à quatre ministères par plus d’un millier de scientifiques et médecins appelle à rejeter cette proposition de loi pro-pesticides ;

– permettre la multiplication des méga-bassines – comme celle de Sainte-Soline qui a défrayé la chronique en 2023 –, alors même que ces retenues d’eau géantes constituent une privatisation de l’eau au profit de quelques-uns ;

– favoriser la création d’élevages industriels gigantesques, en faisant fi des graves problèmes environnementaux qu’ils posent et des nuisances de voisinage qu’ils engendrent ;

– réduire les prérogatives de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), l’organisme qui est notamment en charge d’autoriser ou non les pesticides ; en somme, pour pouvoir polluer impunément, écartons les gêneurs…

L’adoption de cette proposition de loi Duplomb, clairement d’inspiration trumpienne, constituerait un recul écologique sans précédent. Et mettrait d’ailleurs la France en porte-à-faux sur bien des points avec les directives européennes sur l’eau et les pesticides, l’exposant à de lourdes sanctions.

Thomas Gilbert, porte-parole de la Confédération paysanne, résume en une phrase lapidaire les conséquences de cette proposition de loi, si elle était adoptée : « C’est l’avènement d’un nouveau modèle agricole, un modèle de firmes tenues par quelques financiers et qui n’a que faire des paysans et des paysannes ». La mobilisation populaire, à l’appel de nombreuses associations écologistes et citoyennes, dont Attac, saura-t-elle infléchir le vote des parlementaires ?

Quel protectionnisme choisir ? (Édito – mai 2025)

Le second mandat de Trump est fortement marqué par la volonté de protéger l’économie américaine en taxant fortement les importations, en particulier celles provenant de Chine. L’Union européenne, qui s’est toujours présentée comme le premier défenseur du libéralisme, a bien été obligée de reconsidérer sa politique économique… Aujourd’hui, les progressistes, qui ont souvent du mal à se réclamer du protectionnisme de crainte d’être assimilés aux nationalistes et autres extrémistes de droite, doivent eux aussi se positionner. Anne-Laure Delatte, directrice de recherche au CNRS, relève trois raisons qui peuvent être invoquées pour justifier le protectionnisme : l’indépendance en matière de produits stratégiques, l’environnement et la protection des emplois des ouvriers. ATTAC, qui s’est toujours opposée aux traités de libre échange, peut facilement se reconnaître dans cette démarche et soutenir le principe des relocalisations industrielles. Cependant, il faut prendre garde à ne pas en rester à un souverainisme européen qui s’opposerait simplement au souverainisme américain, voire chinois. Il faut promouvoir un « protectionnisme solidaire » fondé sur des coopérations avec des pays d‘Amérique du Sud, d’Afrique ou d’Asie qui sont eux aussi affectés par la guerre commerciale de Trump. Même s’il n’est pas toujours facile d’instaurer des échanges fondés sur la solidarité et l’équité internationale, la réduction des inégalités sociales et la préservation de l’environnement.

« OFFSHORE », de Renaud Van Ruymbeke

Les paradis fiscaux ont régulièrement défrayé la chronique de ces vingt dernières années, que ce soit à travers les révélations répétées d’un consortium international de journalistes (Luxleaks, Panama papers, Paradise papers, Dubaï papers) ou grâce à des fuites bancaires dues à des lanceurs d’alerte (filiale suisse de la banque HSBC, banque UBS aux Etats-Unis).  Les premières ont jeté la lumière sur des officines spécialisées dans la création des sociétés offshore – littéralement, ce terme signifie “au large des côtes” et par extension, “en dehors des frontières –, rouages essentiels de l’évasion fiscale, légale ou frauduleuse. Les secondes ont pointé du doigt le rôle complice de certaines banques au comportement bien peu éthique.

Dans son livre Offshore – Dans les coulisses édifiantes des paradis fiscaux*, Renaud Van Ruymbeke**, figure emblématique de la lutte anti-corruption, nous fait part de son expérience de juge d’instruction spécialisé au pôle financier du tribunal de Paris, poste qu’il a occupé pendant près de vingt ans. Il y détaille les rouages qui permettent l’évasion et la fraude fiscales, ainsi que le recyclage de l’argent sale. Qu’il s’agisse des unes ou de l’autre, les procédés et les circuits utilisés restent les mêmes.

Le paradis fiscal se caractérise tout d’abord par un secret bancaire absolu, l’absence de transparence est totale, tant concernant les titulaires des comptes que les opérations réalisées. Il dispose par ailleurs d’une fiscalité très avantageuse, avec une imposition sur les revenus, les sociétés  et les plus-values faible, voire nulle. Cela en fait le symbole même de l’injustice fiscale, puisqu’il permet aux plus riches d’échapper à leur juste participation aux dépenses des services publics (hôpitaux, écoles, etc.) de leurs pays. On y trouve des officines de conseils, avec des professionnels qualifiés, qui fournissent à leurs clients, eux-mêmes la plupart du temps de simples intermédiaires de confiance, des dispositifs offshore clés en main. Ceux-ci sont constitués d’une ou plusieurs sociétés écrans – véritables coquilles vides sans bureaux ni salariés – qui permettent d’opacifier la circulation de l’argent et de masquer l’identité des véritables bénéficiaires, ce qui complique considérablement d’éventuelles investigations.

Dans ce monde où l’opacité est la règle première, on croise pêle-mêle des évadés fiscaux – riches particuliers ou multinationales – désireux échapper à l’impôt, des dirigeants et chefs d’État corrompus, des oligarques russes, des mafieux, des trafiquants de drogue. Les sommes dont il est question donnent le vertige : on estime à près de 9 000 milliards de dollars les avoirs cachés dans les paradis fiscaux !

Parler de paradis fiscal évoque des destinations lointaines et exotiques : le Panama, les Bahamas, les Îles vierges britanniques, les Seychelles, les îles Caïmans, Singapour, etc. C’est occulter le fait que des paradis fiscaux, et non des moindres, se trouvent également au sein même de l’Union européenne : la Suisse, les Pays-Bas, l’Irlande, Monaco, le Lichtenstein, Andorre, le Luxembourg, et le plus ancien et plus important de tous, la City de Londres. Grâce au passé colonial de la Grande-Bretagne, celle-ci se trouve au centre d’un réseau de places financières qui en sont les satellites. À l’instar de pays comme la Suisse et le Luxembourg, elle  tire d’importants revenus de la fraude fiscale et malgré les déclarations officielles, rechigne à coopérer dans les faits avec la justice. Tant que l’UE tolèrera cette situation, et se montrera incapable d’imposer des règles de transparence, toute lutte contre les paradis fiscaux sera vouée à l’échec.

Suite aux scandales à répétition révélés par la presse, l’OCDE et le G20 cherchent à mettre en place une véritable coopération fiscale internationale. De nombreux pays ont signé un accord dans ce sens, et voté des lois anti-blanchiment. Mais l’hypocrisie reste encore la règle, car si nombre de places offshore ont adopté des législations conformes aux standards internationaux, il ne s’agit  la plupart du temps que de postures de pure façade. Comme il n’y a pas de contrôle a posteriori, elles n’ont guère eu à modifier leurs comportements dans les faits.

Il semble que les paradis fiscaux ont encore de beaux jours devant eux…

* aux éditions Les Liens qui Libèrent, novembre 2022 (263 pages)

** Renaud Van Ruymbeke est décédé en mai 2024, à l’âge de 71 ans

Fermeture de l’hébergement Faron

L’ancien site militaire de la caserne Faron, à Vandoeuvre, avait été réquisitionné en 2013 pour héberger des demandeurs d’asile. La préfecture de Meurthe-et-Moselle a décidé de fermer ce lieu d’hébergement pour permettre à la ville de Vandoeuvre d’y mettre en oeuvre des projet d’aménagements urbains. L’eau et l’électricité ont coupé le 9 mai dernier, pour forcer les hébergés à quitter les lieux. De nombreuses personnes vont ainsi se retrouver à la rue, sans solution d’hébergement Un collectif d’associations a publié une lettre ouverte à la préfecture. Si Attac-54 ne fait pas partie des signataires, nous soutenons cependant pleinement le collectif dans sa démarche.

Le « pouvoir des juges » contre le peuple ? (Édito – avril 2025)

Le jugement qui a été prononcé à l’encontre des parlementaires du RN et particulièrement de Marine Le Pen a suscité bien des réactions dans le monde politique. Au RN on a crié au « déni de démocratie », tandis que le premier ministre se disait troublé… On voudrait faire de cette décision judiciaire une décision politique visant à empêcher Marine Le Pen de se présenter à l’élection présidentielle de 2027. On a donc beaucoup parlé d’inéligibilité et d’exécution provisoire, mais on a un peu oublié le fond du dossier : c’est d’abord une affaire de détournement de fonds publics. Alors que depuis quelques années tout le monde, et en particulier le RN, appelle à la moralisation de la vie politique, on ne saurait admettre que ce jugement soit un prétexte pour dénoncer une prétendue « tyrannie des juges »… Il faut, certes, faire remarquer que les accusés sont présumés innocents jusqu’à épuisement des voies de recours, mais il faut aussi dire haut et fort que les textes de loi sont faits pour être appliqués pour tout le monde, y compris pour les personnalités politiques de premier plan. Finalement le RN, et pas seulement lui, voudrait remettre en cause l’état de droit en opposant les décisions judiciaires à la « souveraineté populaire ». Accepter dans ces conditions que des parlementaires, voire des membres du gouvernement, puissent critiquer une décision de justice reviendrait tout simplement à remettre en cause un principe de base de notre démocratie : la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire.

Haro sur la science ?

Les avancées de la science ont fortement modelé depuis plusieurs générations notre mode de vie et notre travail, elles ont été synonymes de progrès constant et de mieux-être. Bien sûr, il s’est toujours trouvé quelques « marchands de doute » – efficaces relais des grands groupes qui les rémunéraient avec pour seule boussole les gains financiers – pour remettre habilement en cause dans les médias les acquis de la science. Ainsi en a-t-il été par exemple des conséquences du tabagisme sur la santé, des effets nocifs des pesticides, des pluies acides, du trou d’ozone, et aujourd’hui du réchauffement climatique. Mais devant l’accumulation des peuves, la vérité a toujours fini par s’imposer.

Pourtant, les attaques contre la science gagnent du terrain depuis quelques années, avec notamment le développement d’internet, des réseaux sociaux, des médias numériques et la dérégulation de l’information. Longtemps anecdotiques, elles ont accédé à une nouvelle visibilité et une audience démultipliée, aidées en cela par les médias très actifs de la complosphère, qui n’ont pas manqué de s’en faire les promoteurs.

La tendance est particulièrement marquée dans les pays qui ont vu des gouvernements autoritaires et réactionnaires accéder au pouvoir, comme la Hongrie, l’Inde, l’Argentine, et maintenant les États-Unis : le résultat des élections américaines a redonné un nouvel élan à ce mouvement, avec le duo Trump-Musk qui s’en est fait le chantre jusqu’à la caricature. Il s’agit pour eux de rejeter les connaissances qui ne sont pas en accord avec leur idéologie, leurs croyances ou leurs intérêts. En voici deux exemples éloquents : l’administration Trump a supprimé sur les sites gouvernementaux des milliers de jeux de données relatifs au climat, à l’environnement ou au genre ; elle a par ailleurs procédé à des coupes budgétaires drastiques entrainant le licenciement de centaines de scientifiques et d’experts de ces questions.

Ces attaques contre la science vont par ailleurs de conserve avec celles qui visent les services publics – accusés de tous les maux –, les femmes ou encore les minorités. Elles constituent l’une des manifestations de la progression des idées réactionnaires.

En France aussi, ces idées se diffusent partout, jusque dans les plus hautes sphères de l’Etat. Il y a eu l’exclamation de Nicolas Sarkozy « L’écologie, ça commence à bien faire », puis l’accusation d’ « éco-terrorisme » lancée par Gérald Darmanin à l’encontre des écologistes, ainsi que sa tentative avortée de dissoudre « Les amis de la Terre ». Il y a eu l’anathème « islamo-gauchisme » jeté à des scientifiques jusque dans l’enceinte de l’Assemblée nationale. Et n’oublions pas la réduction de la part du financement de l’Enseignement supérieur et de la recherche dans le budget 2025… Les signes inquiétants ne manquent pas. En témoignent également les remises en cause récentes d’organismes comme l’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie), l’INRAE (Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement) ou l’OFB (Office Français de la Biodiversité).

Les résultats scientifiques ne relèvent pas d’une opinion, ils sont l’aboutissement d’une démarche rigoureuse, passée par le filtre du jugement par les pairs. Il est essentiel que les scientifiques puissent conserver leur liberté académique et rester indépendants des aléas du pouvoir politique.

L’empreinte carbone du chocolat

Oh les relous qui viennent nous culpabiliser avec le chocolat, maintenant… Alors quand c’est pas la bagnole ou l’avion qu’on utilise trop souvent, la viande de bœuf qu’on mange trop, maintenant c’est par le chocolat qu’on pèche ?

Mais non… Enfin si, un peu… 

D’où vient l’impact carbone du chocolat ? Eh bien, pas tant du transport (quand bien même les cacaoyers ne poussent pas sous nos latitudes…) que de la déforestation : la culture croissante du cacao exige de plus en plus de sols, donc de déforestation. En vingt ans, on est passés de 4 millions d’hectares de terres cultivées en cacao dans le monde à 12 millions, donc autant d’hectares déforestés, autant de forêts stockant le carbone qui ont cessé d’exister.

Ajoutons à cela les conditions de travail très dégradées des paysans producteurs qui font un travail harassant tout en respirant des produits chimiques particulièrement toxiques, ainsi que cela est raconté dans le livre autobiographique de l’auteur camerounais Samy Manga, Chocolaté, Le goût amer de la culture du cacao.

Samy Manga était présent à Nancy en avril 2024 lors du festival Livres d’Ailleurs ; à cette occasion il s’est rendu auprès de collégiens à qui il a expliqué comment travaillait son grand-père mort trop jeune de son travail et avec qui il dialogue dans son livre :

  • Grand-père, pourquoi ces gens prennent tout notre cacao ?
  • Parce qu’il leur appartient, fiston.
  • Grand-père, ce cacao vient de notre plantation.
  • Oui, mais c’est pour eux que nous travaillons cette plantation depuis des générations.
  • Grand-père, nous ne sommes pas des esclaves.
  • En quelque sorte, oui.

Les petits producteurs de cacao tels le grand-père de Samy Manga sont désarmés face aux géants Mars, Ferreiro, Mondelez, Nestlé, Hershey’s, Lindt et Sprüngli, pour ne citer que les plus importants, les requins de l’or vert, comme les appelle Samy Manga.

Que faire alors ? Aussi vertueux que nous soyons au quotidien en n’achetant que du chocolat bio et équitable (ce qui nous laisse supposer que, peut-être, les petits producteurs ont été respectés), en n’achetant que du chocolat en provenance du Pérou (un des rares pays qui cultive son cacao sans déforester), même mis bout à bout, ces petits gestes n’auront pas un grand impact. De plus, ils ne sont pas accessibles à tous : entre une plaque de chocolat « vertueuse » et une autre issue des circuits habituels, l’écart de prix est vertigineux.

Or l’Union Européenne peut imposer aux grands groupes cités plus haut de produire d’une manière plus respectueuse des travailleurs et de l’environnement. Elle s’est ainsi dotée en 2023 d’un règlement qui vise à interdire la mise sur le marché européen de produits ayant contribué à la déforestation. On attend juste sa mise en application. Et on espère très fort qu’il ne sera pas vidé de sa substance entretemps.

Allez, vous reprendrez bien encore un petit chocolat ? En espérant qu’on ne vous a pas coupé l’appétit, car ce n’est pas le but. Vivons, soyons heureux, mais soyons vigilants.