ATTAC-54

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Catégorie : Éditoriaux

L’agriculture sacrifiée (Édito – mars 2024)

Les agriculteurs viennent de se mobiliser fortement pour exiger des revenus qui leurs permettraient de vivre convenablement du fruit de leur travail. Alors que leurs difficultés sont dues à la pression exercée par la grande distribution et les industries agroalimentaires, mais aussi à la politique de libre échange de l’UE et de la PAC, Gabriel Attal et la FNSEA ont choisi, en suspendant le « plan Ecophyto », de faire de l’écologie le bouc émissaire.

Bien sûr, le modèle productiviste actuel appauvrit la paysannerie vivrière au profit de la grande distribution et de l’agro-industrie*. Mais défendre la voie de l’agroécologie pour garantir une rémunération stable ne suffit pas, il faut aussi mettre fin au libre-échange généralisé et interroger le rôle de la PAC. 9,5 milliards d’euros d’aides ont été distribués aux agriculteurs en 2022, mais ces aides, premier pilier de la PAC, financent essentiellement les gros producteurs, laissant 18 % des agriculteurs vivre en dessous du seuil de pauvreté. Les organisations syndicales productivistes françaises ont toujours refusé d’orienter la PAC vers son deuxième pilier, fondé sur le développement rural, et défendent un modèle d’exportation qui épuise les sols, maltraite les animaux et intoxique les paysan-nes.

L’agroécologie est la seule voie raisonnable, car agriculture et écologie sont intrinsèquement liées. Les êtres humains ne sont ni hors, ni au-dessus des écosystèmes, ils en sont une composante essentielle. Loin de sauver l’agriculture, la macronie la sacrifie en réalité sur l’autel du libéralisme.

* Selon le rapport 2022 de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, sur 100 € dépensés par le consommateur, la valeur ajoutée par l’agriculture ne représente que 6,90 €, contre 10,40 € pour les industries alimentaires.

Le juste sort d’une mauvaise loi (Édito – février 2024)

Le gouvernement a décidé, voilà plus d’un an, de présenter une nouvelle loi dite « Asile et immigration », soi-disant pour répondre à l’attente du peuple français. Cette loi, condamnée dès le début par l’ensemble des associations, des syndicats et des partis politiques de gauche, a connu bien des péripéties avant d’être en partie retoquée fin janvier par le Conseil Constitutionnel, au moins dans ses dispositions les plus dures et les plus injustes, qui remettaient en cause certains fondements de notre République.

Elle avait donné lieu, le 21 janvier, à des manifestations à Nancy et un peu partout en France, suite à un appel lancé par de nombreuses personnalités. Cet appel soulignait le caractère dangereux de la loi : « C’est un tournant dangereux dans l’histoire de notre République, d’abord parce que cette loi ne répond pas aux causes de l’exil forcé d’hommes, de femmes et d’enfants fuyant les guerres ou le réchauffement climatique, ni au défi de l’accueil dans la dignité, ni au défi de la définition d’une politique digne et humaine d’intégration ». De plus, ajoutait le communiqué, cette loi est dangereuse « parce qu’elle a été rédigée sous la dictée des marchands de haine qui rêvent d’imposer en France leur projet de préférence nationale ». Enfin, concluait-il, « elle torpille les piliers porteurs de notre pacte républicain hérité du Conseil National de la Résistance que sont le droit du sol, au travail, à l’éducation, au logement et à la santé ».

Les personnalités signataires appelaient à agir contre « la division de la société » qu’induit cette loi en manifestant leur attachement aux principes de la République : Liberté, Égalité, Fraternité.

Toujours est-il que, si Darmanin se vantait d’avoir fait passer la loi, Macron a, quant à lui, fait preuve à cette occasion d’une véritable duplicité : il a soutenu une loi raciste qui prônait « la préférence nationale », tout en escomptant que le Conseil Constitutionnel supprimerait les articles les plus dangereux pour la démocratie. En agissant ainsi, alors qu’il s’est fait élire en se présentant comme le candidat anti-Le Pen, il a fait preuve d’une totale irresponsabilité en encourageant les idées de l’extrême droite et en donnant des arguments à ceux qui, RN en tête, mettent en cause l’État de droit.

De l’inefficacité de la COP (Édito – décembre 2023)

La COP 28 (Conference of the Parties, 28e édition) s’est  tenue à Dubaï au début de ce mois de décembre. Le but affiché de ces réunions annuelles des États est de fixer des objectifs mondiaux susceptibles de contenir le dérèglement climatique dans des limites raisonnables pour la biosphère.

Force est de constater pour l’instant que la situation continue inexorablement de se dégrader, et que les émissions de gaz à effet de serre (GES), principale cause du réchauffement, poursuivent leur progression d’une année sur l’autre, en dépit des recommandations répétées et insistantes du GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat). Le 17 novembre dernier, la température mondiale a même franchi le seuil symbolique de +2°C par rapport à l’ère pré-industrielle, qui était la limite à ne pas dépasser selon les COP elles-mêmes.

La COP 28 reflète de manière caricaturale la dérive de ces conférences, par le lieu où elle s’est déroulée – les Émirats Arabes Unis, l’un des plus grands producteurs et exportateurs de pétrole au monde –, par son président – l’émir Ahmed Al Jaber, PDG de l’une des principales compagnies pétrolières mondiales – et par la présence d’innombrables lobbyistes des énergies fossiles, qui ont fortement influencé la rédaction du rapport final. Celui-ci est très édulcoré et, s’il mentionne pour la première fois le sujet sensible des énergies fossiles, il évite soigneusement l’utilisation de termes faisant référence à une quelconque manière d’en sortir à court ou moyen terme. Il y est question de l’horizon 2050, quand les experts du GIEC ne cessent de nous alerter sur le fait que, si des décisions radicales ne sont pas prises avant 2030, il sera trop tard pour éviter l’emballement climatique.

De plus, aucun accord n’est intervenu sur les moyens de financer la « transition énergétique », ni sur la mise à contribution des pollueurs, ni sur la façon de garantir la justice et l’équité en faveur des pays du Sud, qui sont les premières victimes et les derniers responsables du dérèglement climatique. En revanche, le rapport met en avant les solutions technologiques (comme les capteurs de CO2)… Une imposture qui tend à faire croire que tout va bien, puisque la technologie permettra de surmonter le problème.

Le seul point positif, sans doute, est l’annonce d’une forte augmentation, d’ici à 2030, des capacités de production des énergies renouvelables. Mais l’essai reste à transformer car, pour l’instant, elles ne se substituent pas aux énergies fossiles, elles ne font que s’y ajouter.

Le graphique de l’évolution des émissions de GES d’une COP à l’autre montre clairement que les décisions prises à l’issue des conférences n’ont guère eu d’influence sur ces émissions. Il est urgent que les prochaines COP parviennent à y remédier.

Vous avez dit « Black Friday » ? (Édito – novembre 2023)

Une fois arrivé début novembre, il n’est désormais plus possible d’échapper au matraquage publicitaire lié à la nouvelle fête consumériste qui nous vient des États-Unis : le Black Friday (vendredi noir). Cette journée de fortes soldes, censée marquer le début des achats pour les fêtes de fin d’année, a fait son apparition en France en 2010, via les ventes en ligne d’Amazon, puis s’est progressivement étendue sur internet avant de conquérir les ventes en magasin.

En principe limité à une journée unique, le Black Friday s’est rapidement affranchi de ce cadre : il s’étend maintenant souvent à la semaine (Black week), voire au mois entier (Black month). Il vient se rajouter aux soldes d’hiver, aux soldes d’été, aux « French Days » – Ah ! ces anglicismes qui font tellement business… – et aux autres promotions en tout genre. Une période de soldes en remplace une autre, pour que nos cerveaux soient sollicités en permanence par les bonnes affaires à ne pas rater.

Avec Amazon comme tête de gondole, ce « vendredi noir », synonyme de gaspillage – faire une bonne affaire devient plus important qu’acheter un produit dont on a réellement besoin – et de pollution, est devenu un véritable symbole du capitalisme marchand triomphant, celui-là même qui nous entraîne vers l’abîme via un réchauffement climatique dont il est l’une des principales causes. Le tout abondamment relayé par les médias dont la plupart, est-il nécessaire de le rappeler, sont aux mains des puissances de l’argent.

Au passage, ce sont les petits commerçants, déjà mis à mal par le commerce en ligne – près de 80 000 emplois ont été supprimés ces dix dernières années dans les petits commerces des centres-villes – qui font les frais de l’opération, car leurs marges plus faibles ne leur permettent pas d’aligner leurs offres promotionnelles sur celles des gros mastodontes de la vente. Nous ne pouvons nous résoudre à devenir de simples acheteurs compulsifs.

Il nous faut trouver la volonté collective de jeter  aux orties ce consumérisme débridé et suicidaire, pour nous mettre en cohérence avec l’urgence sociale et climatique !

65e anniversaire de la Constitution (Édito – octobre 2023)

A l’occasion du 65e anniversaire de la Constitution de la Ve République, Macron a tenté de redonner du crédit à celle-ci en suggérant une 26e révision. Dans son discours tenu au Conseil Constitutionnel, il a proposé d’y inscrire le droit à l’interruption volontaire de grossesse, l’élargissement du champ du référendum, ainsi qu’un nouveau statut pour la Corse. Ces propositions, si elles ont le mérite d’exister, ne peuvent suffire à elles seules, après l’épisode de la réforme des retraites, à réconcilier les Français avec nos institutions. En effet, c’est la Constitution qui a permis que cette réforme, bien que rejetée par une majorité d’entre eux, ait pu être mise en œuvre sans qu’on ait laissé la possibilité à l’Assemblée nationale d’en débattre et aux citoyens de donner leur avis. Mais la désaffection à l’égard du Parlement remonte à plus loin. Déjà après l’élection par défaut du président de la République, 50 % des électeurs seulement s’étaient déplacés pour voter aux élections législatives…

Il est donc temps de donner aux Français l’occasion d’élire une assemblée constituante pour instaurer une VIe République. C’est à ce prix que l’on pourra réconcilier le plus grand nombre d’entre eux avec la politique.

Abaya et émancipation (Édito – septembre 2023)

Cette année la rentrée scolaire, comme c’est souvent le cas, a fait la une des médias. Mais cette fois-ci, au lieu de parler des effectifs et des réformes en cours, on a focalisé l’attention sur l’interdiction de l’abaya.

En prenant une mesure qui caricature la laïcité, le gouvernement a cherché à occulter la réalité. On attend encore que le président de la République – qui s’est attribué l’école comme domaine réservé – s’exprime au sujet de l’absence, 15 jours après la rentrée, d’au moins un enseignant dans la moitié des collèges et lycées de France. On attend aussi des annonces sérieuses de revalorisation des salaires des enseignants, l’un des enjeux principaux face aux difficultés de recrutement. Enfin, on attend toujours des mesures susceptibles de réduire les inégalités sociales qui minent notre système scolaire…

Macron estime que c’est l’adaptabilité au monde de l’entreprise qui réglera le problème. Emblématique à ce titre est la réforme du lycée professionnel qui vise à « caser » des jeunes dès 14 ans dans le monde de l’entreprise, délestant ainsi l’école de sa mission éducative. ATTAC estime, quant à elle, qu’il faut redonner à l’École Publique les moyens matériels et humains dont elle a besoin pour remplir cette mission. Cela demande également de rediscuter l’ensemble des programmes en équilibrant les savoirs pratiques, intellectuels et culturels dans l’intérêt du plus grand nombre, pour une véritable école émancipatrice.

Bien accueillir les migrants (Édito – été 2023)

Depuis plusieurs semaines, le parti Les Républicains et ceux qui soutiennent le gouvernement se livrent à une surenchère à propos de la prochaine loi sur l’immigration (la 22ème en 30 ans !). Essayant de mobiliser l’opinion publique contre les migrants, ils n’hésitent pas à plagier le RN, par exemple en mettant en cause l’Aide Médicale d’État. Ils exploitent le moindre fait divers pour encourager l’hostilité envers les étrangers et refusent de rendre hommage aux centaines d’exilés qui viennent de mourir au large de la Grèce.

Pour des raisons morales, mais aussi pour résister aux idées qui favoriseraient l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite, il est temps de prendre nos responsabilités en rétablissant la vérité des faits. Ainsi, alors que nous sortons de la « bataille des retraites », ne faut-il pas dire que si on se privait des cotisations des travailleurs étrangers, ce n’est pas sur 64 ans que porterait le débat concernant l’âge de départ légal qui assurerait l’équilibre du système, mais plutôt sur 67 ou 68 ans ? Selon L’INSEE, il y avait 7,7 % d’étrangers en France en 2021, mais aussi 15 % d’entrepreneurs étrangers. Par ailleurs, on ne compte plus les patrons qui souhaitent embaucher un jeune étranger dans la restauration ou le bâtiment et à qui les préfectures opposent un refus. Enfin il faut savoir qu’en supprimant l’accès aux soins aux exilés, on ne pourrait que renforcer le risque épidémique et les crises sanitaires. Alors que l’Europe plaide pour une fermeture toujours accrue à l’immigration, la France doit rester une terre d’accueil pour les Ukrainiens, mais aussi pour les autres réfugiés et migrants.

Macron prépare la venue du RN au pouvoir (Édito – mai 2023)

Nous vivons une situation sociale tendue marquée par une mobilisation contre la réforme des retraites, inédite tant par son intensité que par sa durée. En campant sur leurs positions, Macron et son gouvernement ont choisi délibérément de faire grandir un ressentiment qui ne peut qu’encourager le recours au RN. En effet, les opposants à la réforme n’ayant pas réussi à faire céder Macron, une dangereuse illusion tend à se répandre : « on a tout essayé, la droite, la gauche et le ‘ni droite, ni gauche’ de Macron, ça n’a pas marché, pourquoi ne pas essayer Le Pen ? »

S’ajoute à cela une banalisation de l’autoritarisme qui renforce cette hypothèse. Au-delà du 49.3 et de la promulgation précipitée de la loi, il faut aussi retenir les interdictions de manifester et l’intervention de plus en plus systématique et violente des forces de l’ordre. Darmanin est à la manœuvre et, sous prétexte de défendre la République, accentue de plus en plus le caractère répressif de l’État… Finalement, les lois liberticides et le présidentialisme exacerbé ne peuvent que favoriser Le Pen. Celle-ci n’aura pas d’état d’âme pour encore les renforcer, et les rappels réguliers du gouvernement pour la mise en œuvre d’une nouvelle loi sur l’immigration vont également dans le même sens.

Pour une VIème République (Édito – avril 2023)

La période que nous vivons a le mérite de mettre en lumière la nécessité d’un renouveau démocratique dans notre pays. Depuis trois mois, un mouvement social puissant, soutenu par l’opinion publique, s’oppose au projet de réforme des retraites voulu par Macron. Or celui-ci, comme son gouvernement, a refusé d’entreprendre de véritables négociations avec les syndicats, préférant utiliser tous les moyens législatifs à sa disposition pour faire passer en force un projet rejeté par la grande majorité des Français.

Aujourd’hui, même si le mouvement social n’a pas dit son dernier mot, force est de constater que nous sommes allés au terme d’un processus qui a profondément remis en cause nos institutions, à commencer par cette fonction présidentielle qui peut permettre à une seule personne d’imposer une loi n’ayant même pas été votée à l’Assemblée nationale !

Finalement, cette crise démocratique a surtout montré que la France a besoin d’une nouvelle constitution ! A nous de travailler à l’émergence du mouvement populaire qui permettra de faire naître enfin une VIème République…

Le capital avant le travail (Édito – mars 2023)

L’objectif de la réforme des retraites qu’Emmanuel Macron veut imposer est purement financier : maintenir les dépenses de retraites à leur niveau actuel, en dessous de 14% du PIB. Ce qui entraînera, en raison du vieillissement de la population, une baisse du niveau moyen des pensions par rapport à l’ensemble des revenus d’activité. En d’autres termes, comme le remarque le Conseil d’orientation des retraites, le niveau de vie des retraités diminuera par rapport à l’ensemble de la population.

L’argumentaire néolibéral du pouvoir macronien et de la Commission européenne est que les retraites ont un poids excessif et contribuent aux déficits publics qu’il convient de réduire à tout prix. Or, si l’on analyse de près l’évolution des comptes publics, on voit que les causes principales des déficits sont ailleurs. Leur augmentation, ces dernières années, provient de l’érosion des recettes publiques, dont le poids en pourcentage du PIB n’a cessé de diminuer. Ainsi, de 2007 à 2021, les recettes fiscales de l’État sont passées de 14,2% à 12,2% du PIB.

Cette érosion est due aux baisses d’impôts et de cotisations sociales, principalement en faveur des entreprises et des ménages les plus riches. Cette politique anti-impôts s’est accélérée pendant l’ère Macron, notamment avec la suppression de l’ISF et des impôts de production sur les entreprises.

Mais il faut aller plus loin dans l’analyse des comptes publics. Contrairement au discours officiel, largement repris dans les médias, les retraites sont loin d’être le poste des dépenses publiques dont la progression est la plus forte. Ce record est détenu par les aides publiques aux entreprises (APE), dont la croissance a été de 5% par an en termes réels (hors inflation) entre 2007 et 2021, soit 2,5 fois plus que les dépenses de retraite.

Or les APE – subventions publiques, crédits d’impôt et baisses de cotisations sociales patronales – posent un double problème. D’une part, il est reconnu qu’elles sont peu efficaces ? Ainsi en est-il des baisses de cotisations sociales permises par le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), qui a été pérennisé par Emmanuel Macron. D’autre part, les APE contribuent à déséquilibrer les comptes de l’État et de la protection sociale, dont font partie les retraites. Prompt à imposer l’austérité à l’assurance-vieillesse ainsi qu’aux services publics, le gouvernement s’oppose à tout débat public sur la pertinence des APE, dont le poids est devenu exorbitant, estimé à 160 milliards d’euros par an, soit 6,4% du PIB, et qui bénéficient surtout aux grandes entreprises.

Il y a bien deux poids, deux mesures pour le travail et le capital…

Précision : cet édito est la reprise d’un texte de Dominique Plihon, paru dans la revue Politis. Dominique Plihon est membre du conseil scientifique d’Attac.