ATTAC-54

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Catégorie : Éditoriaux

Abaya et émancipation (Édito – septembre 2023)

Cette année la rentrée scolaire, comme c’est souvent le cas, a fait la une des médias. Mais cette fois-ci, au lieu de parler des effectifs et des réformes en cours, on a focalisé l’attention sur l’interdiction de l’abaya.

En prenant une mesure qui caricature la laïcité, le gouvernement a cherché à occulter la réalité. On attend encore que le président de la République – qui s’est attribué l’école comme domaine réservé – s’exprime au sujet de l’absence, 15 jours après la rentrée, d’au moins un enseignant dans la moitié des collèges et lycées de France. On attend aussi des annonces sérieuses de revalorisation des salaires des enseignants, l’un des enjeux principaux face aux difficultés de recrutement. Enfin, on attend toujours des mesures susceptibles de réduire les inégalités sociales qui minent notre système scolaire…

Macron estime que c’est l’adaptabilité au monde de l’entreprise qui réglera le problème. Emblématique à ce titre est la réforme du lycée professionnel qui vise à « caser » des jeunes dès 14 ans dans le monde de l’entreprise, délestant ainsi l’école de sa mission éducative. ATTAC estime, quant à elle, qu’il faut redonner à l’École Publique les moyens matériels et humains dont elle a besoin pour remplir cette mission. Cela demande également de rediscuter l’ensemble des programmes en équilibrant les savoirs pratiques, intellectuels et culturels dans l’intérêt du plus grand nombre, pour une véritable école émancipatrice.

Bien accueillir les migrants (Édito – été 2023)

Depuis plusieurs semaines, le parti Les Républicains et ceux qui soutiennent le gouvernement se livrent à une surenchère à propos de la prochaine loi sur l’immigration (la 22ème en 30 ans !). Essayant de mobiliser l’opinion publique contre les migrants, ils n’hésitent pas à plagier le RN, par exemple en mettant en cause l’Aide Médicale d’État. Ils exploitent le moindre fait divers pour encourager l’hostilité envers les étrangers et refusent de rendre hommage aux centaines d’exilés qui viennent de mourir au large de la Grèce.

Pour des raisons morales, mais aussi pour résister aux idées qui favoriseraient l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite, il est temps de prendre nos responsabilités en rétablissant la vérité des faits. Ainsi, alors que nous sortons de la « bataille des retraites », ne faut-il pas dire que si on se privait des cotisations des travailleurs étrangers, ce n’est pas sur 64 ans que porterait le débat concernant l’âge de départ légal qui assurerait l’équilibre du système, mais plutôt sur 67 ou 68 ans ? Selon L’INSEE, il y avait 7,7 % d’étrangers en France en 2021, mais aussi 15 % d’entrepreneurs étrangers. Par ailleurs, on ne compte plus les patrons qui souhaitent embaucher un jeune étranger dans la restauration ou le bâtiment et à qui les préfectures opposent un refus. Enfin il faut savoir qu’en supprimant l’accès aux soins aux exilés, on ne pourrait que renforcer le risque épidémique et les crises sanitaires. Alors que l’Europe plaide pour une fermeture toujours accrue à l’immigration, la France doit rester une terre d’accueil pour les Ukrainiens, mais aussi pour les autres réfugiés et migrants.

Macron prépare la venue du RN au pouvoir (Édito – mai 2023)

Nous vivons une situation sociale tendue marquée par une mobilisation contre la réforme des retraites, inédite tant par son intensité que par sa durée. En campant sur leurs positions, Macron et son gouvernement ont choisi délibérément de faire grandir un ressentiment qui ne peut qu’encourager le recours au RN. En effet, les opposants à la réforme n’ayant pas réussi à faire céder Macron, une dangereuse illusion tend à se répandre : « on a tout essayé, la droite, la gauche et le ‘ni droite, ni gauche’ de Macron, ça n’a pas marché, pourquoi ne pas essayer Le Pen ? »

S’ajoute à cela une banalisation de l’autoritarisme qui renforce cette hypothèse. Au-delà du 49.3 et de la promulgation précipitée de la loi, il faut aussi retenir les interdictions de manifester et l’intervention de plus en plus systématique et violente des forces de l’ordre. Darmanin est à la manœuvre et, sous prétexte de défendre la République, accentue de plus en plus le caractère répressif de l’État… Finalement, les lois liberticides et le présidentialisme exacerbé ne peuvent que favoriser Le Pen. Celle-ci n’aura pas d’état d’âme pour encore les renforcer, et les rappels réguliers du gouvernement pour la mise en œuvre d’une nouvelle loi sur l’immigration vont également dans le même sens.

Pour une VIème République (Édito – avril 2023)

La période que nous vivons a le mérite de mettre en lumière la nécessité d’un renouveau démocratique dans notre pays. Depuis trois mois, un mouvement social puissant, soutenu par l’opinion publique, s’oppose au projet de réforme des retraites voulu par Macron. Or celui-ci, comme son gouvernement, a refusé d’entreprendre de véritables négociations avec les syndicats, préférant utiliser tous les moyens législatifs à sa disposition pour faire passer en force un projet rejeté par la grande majorité des Français.

Aujourd’hui, même si le mouvement social n’a pas dit son dernier mot, force est de constater que nous sommes allés au terme d’un processus qui a profondément remis en cause nos institutions, à commencer par cette fonction présidentielle qui peut permettre à une seule personne d’imposer une loi n’ayant même pas été votée à l’Assemblée nationale !

Finalement, cette crise démocratique a surtout montré que la France a besoin d’une nouvelle constitution ! A nous de travailler à l’émergence du mouvement populaire qui permettra de faire naître enfin une VIème République…

Le capital avant le travail (Édito – mars 2023)

L’objectif de la réforme des retraites qu’Emmanuel Macron veut imposer est purement financier : maintenir les dépenses de retraites à leur niveau actuel, en dessous de 14% du PIB. Ce qui entraînera, en raison du vieillissement de la population, une baisse du niveau moyen des pensions par rapport à l’ensemble des revenus d’activité. En d’autres termes, comme le remarque le Conseil d’orientation des retraites, le niveau de vie des retraités diminuera par rapport à l’ensemble de la population.

L’argumentaire néolibéral du pouvoir macronien et de la Commission européenne est que les retraites ont un poids excessif et contribuent aux déficits publics qu’il convient de réduire à tout prix. Or, si l’on analyse de près l’évolution des comptes publics, on voit que les causes principales des déficits sont ailleurs. Leur augmentation, ces dernières années, provient de l’érosion des recettes publiques, dont le poids en pourcentage du PIB n’a cessé de diminuer. Ainsi, de 2007 à 2021, les recettes fiscales de l’État sont passées de 14,2% à 12,2% du PIB.

Cette érosion est due aux baisses d’impôts et de cotisations sociales, principalement en faveur des entreprises et des ménages les plus riches. Cette politique anti-impôts s’est accélérée pendant l’ère Macron, notamment avec la suppression de l’ISF et des impôts de production sur les entreprises.

Mais il faut aller plus loin dans l’analyse des comptes publics. Contrairement au discours officiel, largement repris dans les médias, les retraites sont loin d’être le poste des dépenses publiques dont la progression est la plus forte. Ce record est détenu par les aides publiques aux entreprises (APE), dont la croissance a été de 5% par an en termes réels (hors inflation) entre 2007 et 2021, soit 2,5 fois plus que les dépenses de retraite.

Or les APE – subventions publiques, crédits d’impôt et baisses de cotisations sociales patronales – posent un double problème. D’une part, il est reconnu qu’elles sont peu efficaces ? Ainsi en est-il des baisses de cotisations sociales permises par le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), qui a été pérennisé par Emmanuel Macron. D’autre part, les APE contribuent à déséquilibrer les comptes de l’État et de la protection sociale, dont font partie les retraites. Prompt à imposer l’austérité à l’assurance-vieillesse ainsi qu’aux services publics, le gouvernement s’oppose à tout débat public sur la pertinence des APE, dont le poids est devenu exorbitant, estimé à 160 milliards d’euros par an, soit 6,4% du PIB, et qui bénéficient surtout aux grandes entreprises.

Il y a bien deux poids, deux mesures pour le travail et le capital…

Précision : cet édito est la reprise d’un texte de Dominique Plihon, paru dans la revue Politis. Dominique Plihon est membre du conseil scientifique d’Attac.

Les droits des exilés menacés ! (Édito – février 2023)

Le 29ème projet de loi sur l’immigration depuis 1980 a été présenté au Conseil des ministres le 1er février, avant d’être examiné au Sénat, puis à l’Assemblée Nationale au printemps. S’inscrivant délibérément dans une vision utilitariste et répressive, ce projet a conduit les associations de défense des droits des exilés à dénoncer « des mesures qui risquent de rogner davantage les droits des personnes étrangères ».

Ainsi, présenté comme visant à faciliter les expulsions des « étrangers délinquants », ce projet cherche d’abord à « réformer structurellement » le droit d’asile dans le but d’accélérer les procédures et d’expulser plus efficacement… Quant au volet intégration, il propose un titre de séjour « métiers en tension » qui revient à faire des migrants une main-d’œuvre de circonstance, précarisée et… jetable.

Alors que la dématérialisation prive déjà de nombreux étrangers d’un accès au séjour, ce projet de loi tend à restreindre le droit au séjour et le droit d’asile. Au lieu d’accueillir dignement celles et ceux qui fuient la guerre, les persécutions, la misère ou les conséquences du dérèglement climatique, il s’agit au contraire de renforcer les moyens qui les empêcheront  d’accéder ou de rester sur le territoire.

Les associations et syndicats appellent à manifester partout en France, le 4 mars, pour dénoncer  une réforme qui vise à « considérer les étrangers comme une population de seconde zone, privée de droits, précarisée et livrée à l’arbitraire du patronat, de l’administration et du pouvoir ».

Retraite : un choix de société (Édito – janvier 2023)

A la Libération, les fondateurs de la Sécurité sociale ont institué la pension de retraite comme la continuation du salaire. La forme la plus aboutie en est la retraite de la fonction publique d’Etat : il n’y a pas de caisse de retraite, la « cotisation retraite » qui apparaît sur le bulletin de salaire n’en est pas une, elle ne sort pas des caisses de l’Etat, qui verse lui-même les pensions aux retraités ; le montant des pensions, calculé sur le salaire des six derniers mois, représente 75 % du salaire brut, soit presque l’équivalent du salaire net.

Les multiples « réformes » du système de retraite depuis 35 ans visaient d’une part à diminuer le montant des pensions, d’autre part à les individualiser en changeant leur nature de « salaire continué » en « revenu différé » : indexation sur les prix – censée maintenir le pouvoir d’achat – et non plus sur les salaires, calcul sur les 25 meilleures années et non plus sur les 10 meilleures années, relèvement de l’âge légal de départ à la retraite et du nombre d’années de cotisation donnant droit au taux plein, instauration d’un système de décotes et de surcotes.

La nouvelle « réforme » que veut imposer Macron contre l’avis de la majorité des Français ne « sauverait » pas un régime des retraites qui n’en a pas besoin (voir l’article ci-dessous). Non, cette énième « réforme » ne ferait que paupériser et précariser un nombre toujours plus grand de personnes âgées, tout en incitant celles qui en ont les moyens à se tourner de plus en plus vers les différentes formes d’épargne individuelle, souvent défiscalisées, donc à la charge des contribuables. Elle accélérerait ainsi le mouvement de retour vers un système de retraites fondé sur la propriété, contre la retraite-salaire, fondement de la Sécurité sociale.

Cette « réforme » repose sur le choix d’une société où le modèle du rentier se substitue à celui du salarié à vie et le « chacun-pour-soi » au principe de solidarité : « à chacun selon ses besoins, de chacun selon ses moyens ». Une société où dominent les inégalités et l’insécurité.

Banalisation (Édito – décembre 2022)

Depuis plusieurs années, on a laissé la question de l’immigration prendre une place disproportionnée dans la vie politique française. Bien sûr, la responsabilité de cette situation incombe d’abord au FN (puis RN), mais bien d’autres forces politiques en sont aussi responsables… On ne rappellera pas ici les manœuvres orchestrées par différents présidents ou candidats à la présidence de la République pour accéder ou se maintenir au pouvoir en se présentant comme les derniers « obstacles face au RN ». On se contentera de rappeler qu’au fil des années les candidats de ce parti n’ont cessé de progresser, formant même aujourd’hui un groupe conséquent à l’Assemblée Nationale.

Face à la nature toujours aussi xénophobe, voire raciste du parti de Marine Le Pen, on aurait pu s’attendre à une certaine résistance des autres forces de droite, mais c’est l’inverse qui s’est produit.

Ainsi les dirigeants des Républicains n’ont pas cessé depuis les dernières présidentielles de tenir des propos qui ressemblent toujours plus à ceux du RN. Quant au gouvernement, chaque occasion lui est bonne pour prouver qu’il est « dur avec les exilés ». Ainsi, après l’attitude honteuse de Gérald Darmanin à propos de « l’accueil » de l’Ocean Viking, on vient nous présenter une énième loi sur l’immigration qui devrait concéder quelques régularisations en échange d’un renforcement des menaces d’expulsion.

Finalement, il apparaît qu’avec les prises de position des uns ou des autres, on assiste à une banalisation des thèses du RN qui ne peut que faciliter l’arrivée au pouvoir de Marine Le Pen. On peut même se demander si certains ne sont pas d’ores et déjà prêts à cohabiter avec elle !

Une démocratie sans débats ? (Édito – novembre 2022)

Il en est un qui fait beaucoup parler de lui en ce moment : le « 49-3 », entendez l’article 49 alinéa 3 de la Constitution. Il permet l’adoption d’un texte de loi par le gouvernement, sans débat préalable à l’Assemblée Nationale. Ce faisant, le gouvernement engage sa responsabilité et s’expose à une motion de censure qui pourrait le renverser si elle obtenait une majorité de voix. Mais dans l’actuelle configuration parlementaire, cette hypothèse reste peu probable.

Discuter et amender des textes de loi proposés par le gouvernement ou des parlementaires est pourtant l’essence même du Parlement, et l’un des fondements de la démocratie. Aussi, pour éviter la tentation d’un recours abusif au 49-3 – il a été utilisé 89 fois par le passé, majoritairement d’ailleurs par des gouvernements de gauche, avec en champion absolu Michel Rocard, qui l’avait dégainé à 28 reprises –  la révision constitutionnelle de 2008 a limité son utilisation, hors textes financiers (loi de finances, financement de la Sécurité sociale), à un seul texte de loi au cours d’une même session parlementaire.

Le gouvernement actuel a déjà eu recours à six reprises au 49-3 depuis la rentrée parlementaire de septembre, pour des textes de nature budgétaire jusqu’ici (projet de budget 2023, financement de la Sécurité sociale pour 2023). Mais ces passages en force répétés augurent mal de l’avenir. Des rumeurs insistantes laissent déjà entendre qu’Élisabeth Borne envisage d’y avoir recours pour la réforme des retraites, voulue à tout prix par Emmanuel Macron. Sous le fallacieux prétexte d’éviter l’obstruction parlementaire d’une avalanche d’amendements à discuter en séance, escamoter les débats sur un sujet aussi essentiel, qui touche directement l’ensemble des Français, constituerait un grave déni de démocratie.

Les ordonnances Macron de 2017, qui ont affaibli le droit du travail en évitant tout débat parlementaire, ont inauguré le premier quinquennat du locataire de l’Élysée. Une réforme des retraites réduisant globalement les droits des retraités, et imposée aux forceps via le 49-3, pourrait bien être l’acte phare du second quinquennat. Bouclant ainsi la boucle …

Le Rassemblement National et ses faux-semblants (Édito – octobre 2022)

Aujourd’hui il est plutôt convenu dans les milieux de gauche, mais pas seulement, de dénoncer les idées et activités du Rassemblement National. Sans faire la moindre concession aux propos xénophobes et racistes de celui-ci , il faut néanmoins s’interroger plus profondément sur les raisons pour lesquelles tant d’électeurs se tournent vers l’extrême droite.

Sans chercher à faire une analyse approfondie de ce vote, on peut déjà considérer qu’en votant pour le RN, certains expriment un désaveu de notre système politique et dénoncent ainsi implicitement l’absence d’alternative au néolibéralisme. Il faut d’ailleurs souligner les responsabilités de la gauche dans ce manque de perspectives proposées aux électeurs – surtout les plus modestes – et le rôle des pouvoirs successifs qui ont, chacun à leur manière, fait le jeu du RN en le présentant comme un repoussoir.

Mais ces explications ne suffisent pas. En fait, c’est tout un malaise social qui a alimenté au fil des années l’implantation durable de ce parti dans notre pays. A ce titre, il serait intéressant de faire une étude comparative entre la dégradation des services publics et la montée du score du RN dans les petites communes et les villes situées en périphérie des métropoles…

Alors même que la droite « décomplexée » hésite de moins en moins à recourir à un discours de plus en plus sécuritaire et libéral, il est dangereux de s’habituer à la présence de ce courant politique d’extrême droite dans les médias et les institutions. Le RN représente plus que jamais un danger majeur pour la démocratie sociale et politique, malgré sa quête de respectabilité et ses tentatives pour paraître proche des citoyens, dont les plus fragiles seraient pourtant les premières victimes des politiques économiques qu’il préconise.

Finalement, en cette période instable où les risques de voir le RN arriver au pouvoir sont réels, il est temps de trouver les outils pour déconstruire son discours et dénoncer la pratique de ses élus.