ATTAC-54

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Le budget Lecornu (Édito – octobre 2025)

Un budget sucré/salé ? C’est ce qu’a annoncé Sébastien Lecornu en ouverture de la discussion budgétaire, recourant donc au lexique gustatif… peut-être assez malvenu pour parler de ce qui ne donne pas tellement envie de saliver. Donc, du sucré et du salé. Une mesure « sucrée » avec la suspension de la réforme des retraites, des mesures « salées » avec des tours de vis sociaux et des hausses d’impôts.

Mais, quitte à rester dans la métaphore gustative, le sucré ne vaut pas mieux que ces faux sucres qui firent fureur un temps, puisqu’il ne s’agit que d’une suspension… Ce qui signifie que dans un avenir qu’on devine très proche, cette réforme des retraites dont une large majorité des Français.e.s ne veut pas nous sera imposée et que nous n’aurons pour seule alternative que d’acquiescer ou dire oui. Donc en fait il n’y a que du salé dans ce budget : une réforme des retraites qui plane, toute prête à s’abattre à la première occasion, des tours de vis sociaux et des hausses d’impôts… Encore que le terme « salé » est tout à fait injuste pour ce condiment essentiel : imagine-t-on une seconde un roquefort sans sel, des pâtes sans huile d’olive ni… sel ?

Certes, le déficit ne baisse pas et la dette augmente. Mais comment avons-nous pu passer d’un montant de dette de 2.200 milliards en 2017 (année où Emmanuel Macron a succédé à François Hollande) à 3.300 milliards aujourd’hui ? Bref, comment avons-nous pu augmenter notre dette de 50 % durant les années Macron ? Certes il y a eu la période Covid et son « quoi qu’il en coûte », mais seuls 165 milliards lui sont imputables.

Comment en sommes-nous arrivés là ? Au point que notre budget semble n’avoir pour fonction que d’éponger une dette abyssale en taillant dans le social et l’écologie.

En juin dernier un rapport sénatorial a dévoilé le premier, le tout premier poste de dépenses de l’État. L’aide aux plus démunis ? Allons, point de fausse naïveté ! Alors les armées ? Après tout, la guerre est, pour ainsi dire, à nos portes et nous avons un devoir de solidarité à l’égard du peuple ukrainien. On avait dit : point de fausse naïveté ! L’éducation ? La santé ? En particulier la santé mentale des jeunes déclarée grande cause nationale ? Eh bien, non.

Le tout premier poste de dépenses de l’État, c’est l’aide aux entreprises, à raison de 211 milliards d’euros annuels. Aux grandes entreprises, pour l’essentiel. De l’argent facile, versé sans aucun contrôle, et dont on peine à croire qu’il serve à  créer des emplois ou augmenter les salaires.

L’hôpital, l’école, les transports, l’écologie, la justice se partagent un peu plus de 300 milliards alors qu’aucun de ces cinq secteurs (pour ne citer qu’eux) ne va bien, alors que l’hôpital suffoque, que l’école est à la peine, que nos dirigeants n’ont cure de l’écologie qui devrait être une urgence absolue, vitale, essentielle !

Donc les impôts vont augmenter. Très bien ! Nous, à ATTAC, on est pour l’impôt ! pour la participation de tous et toutes à l’effort commun ! mais à proportion des moyens de chacun et chacune, bien sûr. C’est ce « bien sûr » qui semble faire furieusement défaut à nos dirigeants. Car quel est le taux effectif d’imposition des Français.e.s ? Tout dépend de « selon que vous serez puissant ou misérable » (eh oui, les choses n’ont guère évolué depuis La Fontaine). Si on prend en compte l’ensemble des revenus des ménages français, voilà comment « l’effort commun » se répartit : les 370 ménages les plus riches de France payent 27 % de leurs revenus ; les ménages des classes moyennes et populaires payent… 52 % de leurs revenus.

En clair : si vous êtes riche, vous payez proportionnellement deux fois moins que si vous êtes pauvre. Inversé, ça donne ça : si vous êtes pauvre, on vous demande de vous priver de ce qui vous est nécessaire, si vous êtes riche, on entame à peine votre superflu.

Non, ce budget n’est ni salé, ni sucré, il est juste indigeste.

Le projet PERICLES

Périclès fut un dirigeant de l’empire athénien du IVe siècle avant notre ère, reconnu comme le premier instaurateur de la démocratie. C’est aussi le nom d’un projet lancé en 2023 par l’entrepreneur et milliardaire français Pierre-Édouard Stérin pour amener au pouvoir en France une alliance de la droite et de l’extrême droite. Gageons que le choix de cet acronyme est moins lié à la démocratie qu’à une mesure controversée du dirigeant athénien limitant la citoyenneté aux personnes dont les deux parents – et non plus le père seul – étaient originaires de la Cité.

Pierre-Edouard Stérin entend mener un combat idéologique pour faire triompher ses idées politiques d’extrême droite, et religieuses version « catho-tradi ». À travers ce projet PERICLES, il n’hésite pas à engager une partie de sa fortune personnelle – 150 millions d’euros sur 10 ans – pour mener sa croisade. À l’image de son clone Vincent Bolloré qui, lui, mène son « combat civilisationnel » à travers les médias qu’il acquiert à tour de bras.

Le détail de l’acronyme PERICLES est éloquent : Patriotes – Enracinés – Résistants – Identitaires – Chrétiens – Libéraux – Européens – Souverainistes. N’en jetez plus ! Une telle avalanche de termes (très) conservateurs pose tout de suite le cadre. C’est ainsi que L’Express a pu qualifier Stérin de « milliardaire qui veut évangéliser la France » et L’Humanité de « saint patron de l’extrême droite française ».

Si la liste de ces termes qui sentent bon l’extrême droite ultra-conservatrice commence par « Patriotes », le patriotisme de Stérin reste cependant à géométrie variable, n’allant pas en tout cas jusqu’au civisme de base de payer ses justes impôts dans son propre pays : le gaillard est un exilé fiscal ayant fui en Belgique en 2012, après l’élection de François Hollande !

Quant au projet global, son objectif affiché est de « sauver la France », pas moins, une France que Stérin estime menacée par ces vilains islamo-gauchistes laïcards, wokistes et immigrationnistes. Le moyen d’y arriver : favoriser une « victoire idéologique, électorale et politique » grâce au financement de multiples projets. Mais un certain flou est savamment entretenu autour de ces derniers. Si les plus consensuels d’entre eux – philanthropiques ou civiques – font l’objet d’une large communication, d’autres moins avouables – politiques, catholiques identitaires – sont complètement occultés dans les médias.

Le projet veut également pallier le manque de cadres à droite et à l’extrême droite. Une des mesures phares est ainsi la création d’une école de formation au mandat de maire pour, est-il précisé, « former et faire gagner en 2026 environ 1000 maires de petites et moyennes communes ». Mais l’échéance principale dans le viseur est l’élection présidentielle de 2027, qu’il s’agit de faire remporter par l’union des droites menée par un Rassemblement national qui a clairement les faveurs de Stérin.

Ce projet PERICLES est à l’image du laboratoire d’idées (Think tank) américain très conservateur « The Heritage Foundation », qui a favorisé l’arrivée au pouvoir d’un Donald Trump, et grandement influencé les orientations politiques sous les deux mandats de celui-ci.

La France suivra-t-elle un chemin analogue ?

Zucman vs Arnault (Édito – septembre 2025)

« Il s’agit d’une volonté clairement formulée de mettre à terre l’économie française… Une idéologie qui vise la destruction de l’économie libérale, la seule qui fonctionne pour le bien de tous… »

Qui est donc ce dangereux illuminé qui veut mettre à terre l’économie française ? Bigre, rien que ça… Celui qui provoque ainsi l’ire de Bernard Arnault, première fortune de France, est l’économiste Gabriel Zucman qui propose un impôt plancher de 2 % du montant de la fortune des foyers fiscaux disposant de plus de 100 millions d’euros de patrimoine. Cela permettrait, selon Gabriel Zucman, d’établir davantage de justice fiscale dans un pays où, contrairement à ce qu’on entend souvent, les citoyen.ne.s sont globalement disposé.e.s à participer à l’effort commun par l’impôt, à la condition que cet effort soit équitablement réparti. Or le sentiment général est que ce sont toujours les plus modestes qu’on taxe et qui s’appauvrissent, cependant que les plus riches continuent de s’enrichir tout en payant des impôts symboliques, eu égard à leur fortune. Ce sentiment est malheureusement étayé par les faits :

  • les 500 plus grandes fortunes de France ont vu leur patrimoine progresser trois fois plus rapidement que la richesse nationale, jusqu’à représenter aujourd’hui 40 % du PIB, contre 6 % en 1996 (selon le magazine Challenges, cité par Le Monde du 21 septembre dernier).
  • Les milliardaires paient proportionnellement deux fois moins d’impôts que la moyenne des Français, état de fait très dangereux pour notre démocratie : cela  provoque ce qu’on appelle un « ras-le-bol fiscal », qui entraîne des promesses politiques de réduction des impôts, donc des services publics au rabais, des reculades sociales, et donc… un contexte délétère dont le RN ne peut que tirer avantage.

Ce qui apparaît comme une mesure de bon sens, – s’assurer que les citoyens les plus riches paient un minimum de 2 % de leur fortune –, qui pourrait rapporter 20 à 25 milliards d’euros par an et permettrait d’apurer une partie de la dette française, d’avoir des services publics dignes de ce nom, d’assurer une vraie transition écologique, serait donc « une volonté clairement formulée de mettre à terre l’économie française… l’économie libérale, la seule qui fonctionne pour le bien de tous… » ?

Non Monsieur Arnault, l’économie libérale ne fonctionne pas pour le bien de tous, elle fonctionne pour le bien de certains, dont vous êtes. L’économie libérale détruit des vies chaque jour. Pas la vôtre, certes. Mais nous vivons dans un système que nous ne pouvons plus accepter, un système profondément inégalitaire et injuste qui ne profite qu’à certains. Prélever ces petits 2 % de votre gigantesque patrimoine ne serait qu’une application de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen. Et il y a urgence ! Notre société est en danger d’explosion.

« RÉSISTER » , de Salomé SAQUÉ

Élection après élection le Rassemblement National ne cesse de gagner du terrain. Le voir s’emparer du pouvoir par les urnes n’est plus aujourd’hui une vue de l’esprit. C’est en partie grâce à la stratégie de Marine Le Pen, qui depuis sa prise en main du parti, a entrepris un travail de fond pour ripoliner la façade – la fameuse dédiabolisation – et ainsi se faire accepter dans le débat républicain. Elle est bien aidée en cela par les médias de la sphère Bolloré, CNews, JDD, Europe 1 et Paris-Match en tête, pour n’en citer que les plus emblématiques.

Dans son livre Résister1, la journaliste Salomé Saqué fait acte de résistance face à cette situation. Ce qui, soit dit au passage, lui a valu des menaces de mort.

Elle redéfinit dans un premier temps l’extrême droite, en se basant sur les travaux de chercheurs spécialisés dans ce domaine : un « nationalisme exacerbé », une « tendance autoritaire qui défie les principes démocratiques », une « rhétorique populiste, souvent teintée de théorie du complot, pour opposer le peuple aux élites », le rejet de « l’immigration et de la diversité culturelle » et le « retour aux valeurs traditionnelles » en sont les principaux marqueurs.

Elle aborde ensuite la question de la bataille culturelle, sémantique et idéologique, dont les principaux vecteurs sont les réseaux sociaux et les médias, particulièrement ceux du groupe Bolloré – « Je me sers de mes médias pour mener mon combat civilisationnel » a lâché Vincent Bolloré lors d’une interview. Côté réseaux sociaux, qui sont devenus aujourd’hui le principal moyen d’information des jeunes, Jordan Bardella est la figure politique française qui a le plus d’influence auprès de ces derniers, qui sont aussi les électeurs de demain…

L’autrice insiste sur le fait que la désinformation et les “fake-news” sont le terreau du narratif de l’extrême droite. Et donc qu’une bonne information, variée et vérifiée, est le meilleur moyen de s’en prévenir.

Elle appelle enfin à un sursaut citoyen pour faire face à la menace de l’arrivée au pouvoir d’un parti d’extrême droite, ce qui selon elle – et ATTAC est bien d’accord –, serait dévastateur pour notre démocratie. Elle développe dans les derniers chapitres du livre des arguments et techniques rhétoriques pour aider tout un chacun à faire valoir ses arguments dans des débats et discussions.

Il est important et nécessaire de lire ce livre, qui est dans la même veine que le Indignez-vous ! de Stéphane Hessel. Terminons par cette citation de Françoise Giroud, qui figure en tête du premier chapitre : « Ainsi commence le fascisme. Il ne dit jamais son nom, il rampe, il flotte, quand il montre le bout de son nez, on dit : C’est lui ? Vous croyez ? Il ne faut rien exagérer ! Et puis un jour on le prend dans la gueule et il est trop tard pour l’expulser. »2

1. Ed. Payot et Rivages, octobre 2024, 144 pages. Salomé Saqué est aussi une influenceuse sur Instagram, avec plus de 450 000 abonnés à son compte. Mais bon, si c’est pour la bonne cause…

2. En guise de supplément : Le RN des villes et le RN des champs, Attac-54, Infolettre, février 2023 : https://www.attac54.org/si-le-rassemblement-national-nous-etait-conte/

Offensive contre l’environnement à Bruxelles, Paris et Strasbourg (Édito – été 2025)

Alors qu’on s’attendait à une résistance de l’Europe face aux déréglementations voulues par Trump à propos du climat et de l’écologie, on assiste au contraire à une remise en cause de certaines règles qui vont dans le même sens que celles mises en œuvre par le président américain. Ainsi, de manière inattendue, la Commission européenne a sabordé quatre textes du Pacte vert qu’elle avait elle-même défendus au cours de son précédent mandat. Au prétexte de « renforcer la compétitivité des entreprises »,  il est prévu par exemple de revenir sur « le devoir de vigilance » qui devait contraindre les entreprises à lutter contre la violation des droits humains et les dégâts environnementaux. Ce qui est moins surprenant, c’est que le Parlement européen, dominé par la droite, a emboîté le pas à cette volonté de « simplifier les normes ». Quant aux députés socialistes français, ils n’ont même pas eu le courage de s’y opposer frontalement. C’est cette même logique que l’on retrouve en France à l’Assemblée nationale dans le projet gouvernemental de « simplification de la vie économique ». Toutes les mesures prévues par ce texte n’ont pas encore été complètement validées, mais on peut d’ores et déjà relever la satisfaction de la droite sur bon nombre de points : proposition de réouverture du chantier de l’ A69, dévoiement de « l’objectif de zéro artificialisation des sols » par des amendements qui le vident de sa substance, propositions d’amendements contre l’Office français de la biodiversité et l’Agence de la transition écologique.

Bien que les indicateurs concernant le dérèglement climatique soient tous au rouge, une majorité de députés, à Paris comme à Strasbourg, ont décidé de revenir sur les récentes avancées réglementaires en matière d’écologie. Il reste donc au mouvement social et aux ONG à préparer la riposte qui nous évitera le pire.

N’ayons pas (trop) peur des masculinistes

« Sérieusement, Madame, vous trouvez ça drôle ? » C’était pendant un de mes cours de français, on venait de regarder la première scène de cette pièce de Molière restée d’une très grande actualité, Le médecin malgré lui. Cette dénonciation de certains travers de notre société est d’une incroyable actualité, mais ce final de la scène d’exposition censé être comique, avec Sganarelle qui bastonne Martine… est-ce toujours drôle ?

La bonne nouvelle, c’est que ça fait moins rire qu’avant. Pas de quoi fanfaronner cependant, quand on entend certains propos tenus dans les cours de récréation des collèges, des lycées, propos où la misogynie la plus crasse le dispute à la crudité la plus sordide.

Et le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes d’enfoncer le clou lorsqu’il avance qu’un quart des hommes entre 25 et 34 ans pensent qu’il faut parfois être violent pour se faire respecter (début 2024). À la décharge de nos jeunes mâles dopés à la testostérone, ils ont de bien vilains exemples devant eux, modèles de force brute, brutale, décomplexée : Trump qui lance l’armée contre son propre peuple, Poutine à l’origine d’une guerre aussi injuste que meurtrière, Netanyaou responsable de ce qu’il faut bien appeler le génocide délibéré d’un peuple, Milei et Musk qui se montrent prêts à détruire à la tronçonneuse tout ce qui les gêne… Des mecs qui font étalage de leur virilité en somme, tant nous voici désormais évalués à l’aune de celle-ci. Donc par définition, seuls les hommes peuvent être évalués.

Ces manifestations exacerbées de ce qu’on appelle désormais le masculinisme – un courant qui prône sans ambiguïté un système violent et patriarcal – sont-elles le signe que le monde est en train de changer, de se radicaliser pour le pire, ou sont-elles au contraire une sorte de chant du cygne ? Les manifestations violentes et de plus en plus spectaculaires des masculinistes ne sont-elles pas la marque de l’énergie du désespoir de qui se sait voué à disparaître ? Car la société a progressé, l’égalité femme-homme a progressé, pas assez, mais suffisamment pour qu’un complet retour en arrière soit difficilement envisageable.

Comment continuer ce chemin vers la vraie égalité, loin des manifestations virilistes hystériques – oui, c’est un oxymore, et alors ? Éduquer, éduquer, éduquer ! Les garçons et les filles. L’égalité est un combat à mener ensemble. Pour une société juste. Mais aussi pour une société où les services publics fonctionnent mieux, pour le bien de tou.te.s… C’est quoi, le rapport ? Je laisse Anne-Cécile Mailfert, directrice de l’OEEF (Observatoire de l’émancipation économique des femmes) l’expliquer mieux que moi : « Le coût de la virilité, c’est de regarder combien coûte une femme, et combien coûte un homme à l’État français. On se rend compte par exemple que 95 % des détenus sont des hommes ! Pourquoi ? L’éducation. Et combien ça coûte que les hommes soient mal élevés ? […] 96 milliards d’euros chaque année… » (Fakir n°117, mai-juillet 2025)

Éduquer, vraiment éduquer nos gamin.e.s, permettrait de développer nos hôpitaux, nos crèches, nos EHPAD, nos écoles… à hauteur de 100 milliards d’euros par an. Ce qui est loin d’être négligeable. Alors le jeu en vaut la chandelle, pour une société à la fois digne, juste, et efficace. Il est plus que jamais nécessaire de poursuivre le combat de l’égalité, dans le calme et l’union, sans se laisser fasciner par ce que nous espérons être les ultimes manifestations de violence d’un mouvement voué à s’éteindre.

Du plomb dans l’aile d’une agriculture plus durable

Les récentes remises en cause tous azimuts des avancées environnementales (voir l’édito de ce mois) trouvent leur point d’orgue en France dans la récente proposition de loi Duplomb, du nom d’un sénateur LR de Haute-Loire, par ailleurs exploitant agricole et membre de la FNSEA. Cette dernière prône une agriculture intensive et productiviste, incompatible avec les objectifs environnementaux de l’accord de Paris de 2015. Sans surprise donc, la proposition de loi va tout à fait dans ce sens.

Adoptée en novembre par un Sénat à majorité de droite, elle a ensuite été rejetée en première lecture par l’Assemblée nationale. Le gouvernement, sous la pression des lobbys et avec l’aide des députés LR, a eu alors recours à une entourloupe pour la faire examiner le 30 juin dernier en commission mixte paritaire – dominée par une droite favorable au texte –, la soustrayant ainsi aux amendements des écologistes et des insoumis. Le texte reviendra en juillet dans les deux assemblées pour une deuxième lecture, sous une forme très proche de celle adoptée par le Sénat en novembre. En escamotant de la sorte le débat parlementaire, le gouvernement effectue un bien peu démocratique passage en force.

Que dit-elle, cette proposition de loi ? Selon ses promoteurs, elle vise à « lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur ». Aussi prévoit-elle notamment de :

– mettre fin à l’interdiction d’utiliser certains pesticides (dont des néonicotinoïdes « tueurs d’abeilles ») dangereux pour l’environnement et pour la santé des citoyens, et plus particulièrement celle des agriculteurs eux-mêmes; une lettre ouverte adressée à quatre ministères par plus d’un millier de scientifiques et médecins appelle à rejeter cette proposition de loi pro-pesticides ;

– permettre la multiplication des méga-bassines – comme celle de Sainte-Soline qui a défrayé la chronique en 2023 –, alors même que ces retenues d’eau géantes constituent une privatisation de l’eau au profit de quelques-uns ;

– favoriser la création d’élevages industriels gigantesques, en faisant fi des graves problèmes environnementaux qu’ils posent et des nuisances de voisinage qu’ils engendrent ;

– réduire les prérogatives de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), l’organisme qui est notamment en charge d’autoriser ou non les pesticides ; en somme, pour pouvoir polluer impunément, écartons les gêneurs…

Cette proposition de loi Duplomb vient d’être adoptée à l’Assemblée nationale ce 8 juillet, juste amputée de la disposition concernant l’ANSES. Clairement d’inspiration trumpienne, elle constitue un recul écologique sans précédent et met la France en porte-à-faux sur bien des points avec les directives européennes sur l’eau et les pesticides, l’exposant à de lourdes sanctions.

Thomas Gilbert, porte-parole de la Confédération paysanne, résume en une phrase lapidaire les conséquences de cette loi : « C’est l’avènement d’un nouveau modèle agricole, un modèle de firmes tenues par quelques financiers et qui n’a que faire des paysans et des paysannes ».

La mobilisation populaire, à l’appel de nombreuses associations écologistes et citoyennes, dont Attac, n’a pas réussi à infléchir le vote des parlementaires, mettant en lumière le décalage entre des Français majoritairement opposés à une agriculture intensive et polluante et des élus inféodés aux lobbys.

Quel protectionnisme choisir ? (Édito – mai 2025)

Le second mandat de Trump est fortement marqué par la volonté de protéger l’économie américaine en taxant fortement les importations, en particulier celles provenant de Chine. L’Union européenne, qui s’est toujours présentée comme le premier défenseur du libéralisme, a bien été obligée de reconsidérer sa politique économique… Aujourd’hui, les progressistes, qui ont souvent du mal à se réclamer du protectionnisme de crainte d’être assimilés aux nationalistes et autres extrémistes de droite, doivent eux aussi se positionner. Anne-Laure Delatte, directrice de recherche au CNRS, relève trois raisons qui peuvent être invoquées pour justifier le protectionnisme : l’indépendance en matière de produits stratégiques, l’environnement et la protection des emplois des ouvriers. ATTAC, qui s’est toujours opposée aux traités de libre échange, peut facilement se reconnaître dans cette démarche et soutenir le principe des relocalisations industrielles. Cependant, il faut prendre garde à ne pas en rester à un souverainisme européen qui s’opposerait simplement au souverainisme américain, voire chinois. Il faut promouvoir un « protectionnisme solidaire » fondé sur des coopérations avec des pays d‘Amérique du Sud, d’Afrique ou d’Asie qui sont eux aussi affectés par la guerre commerciale de Trump. Même s’il n’est pas toujours facile d’instaurer des échanges fondés sur la solidarité et l’équité internationale, la réduction des inégalités sociales et la préservation de l’environnement.

« OFFSHORE », de Renaud Van Ruymbeke

Les paradis fiscaux ont régulièrement défrayé la chronique de ces vingt dernières années, que ce soit à travers les révélations répétées d’un consortium international de journalistes (Luxleaks, Panama papers, Paradise papers, Dubaï papers) ou grâce à des fuites bancaires dues à des lanceurs d’alerte (filiale suisse de la banque HSBC, banque UBS aux Etats-Unis).  Les premières ont jeté la lumière sur des officines spécialisées dans la création des sociétés offshore – littéralement, ce terme signifie “au large des côtes” et par extension, “en dehors des frontières –, rouages essentiels de l’évasion fiscale, légale ou frauduleuse. Les secondes ont pointé du doigt le rôle complice de certaines banques au comportement bien peu éthique.

Dans son livre Offshore – Dans les coulisses édifiantes des paradis fiscaux*, Renaud Van Ruymbeke**, figure emblématique de la lutte anti-corruption, nous fait part de son expérience de juge d’instruction spécialisé au pôle financier du tribunal de Paris, poste qu’il a occupé pendant près de vingt ans. Il y détaille les rouages qui permettent l’évasion et la fraude fiscales, ainsi que le recyclage de l’argent sale. Qu’il s’agisse des unes ou de l’autre, les procédés et les circuits utilisés restent les mêmes.

Le paradis fiscal se caractérise tout d’abord par un secret bancaire absolu, l’absence de transparence est totale, tant concernant les titulaires des comptes que les opérations réalisées. Il dispose par ailleurs d’une fiscalité très avantageuse, avec une imposition sur les revenus, les sociétés  et les plus-values faible, voire nulle. Cela en fait le symbole même de l’injustice fiscale, puisqu’il permet aux plus riches d’échapper à leur juste participation aux dépenses des services publics (hôpitaux, écoles, etc.) de leurs pays. On y trouve des officines de conseils, avec des professionnels qualifiés, qui fournissent à leurs clients, eux-mêmes la plupart du temps de simples intermédiaires de confiance, des dispositifs offshore clés en main. Ceux-ci sont constitués d’une ou plusieurs sociétés écrans – véritables coquilles vides sans bureaux ni salariés – qui permettent d’opacifier la circulation de l’argent et de masquer l’identité des véritables bénéficiaires, ce qui complique considérablement d’éventuelles investigations.

Dans ce monde où l’opacité est la règle première, on croise pêle-mêle des évadés fiscaux – riches particuliers ou multinationales – désireux échapper à l’impôt, des dirigeants et chefs d’État corrompus, des oligarques russes, des mafieux, des trafiquants de drogue. Les sommes dont il est question donnent le vertige : on estime à près de 9 000 milliards de dollars les avoirs cachés dans les paradis fiscaux !

Parler de paradis fiscal évoque des destinations lointaines et exotiques : le Panama, les Bahamas, les Îles vierges britanniques, les Seychelles, les îles Caïmans, Singapour, etc. C’est occulter le fait que des paradis fiscaux, et non des moindres, se trouvent également au sein même de l’Union européenne : la Suisse, les Pays-Bas, l’Irlande, Monaco, le Lichtenstein, Andorre, le Luxembourg, et le plus ancien et plus important de tous, la City de Londres. Grâce au passé colonial de la Grande-Bretagne, celle-ci se trouve au centre d’un réseau de places financières qui en sont les satellites. À l’instar de pays comme la Suisse et le Luxembourg, elle  tire d’importants revenus de la fraude fiscale et malgré les déclarations officielles, rechigne à coopérer dans les faits avec la justice. Tant que l’UE tolèrera cette situation, et se montrera incapable d’imposer des règles de transparence, toute lutte contre les paradis fiscaux sera vouée à l’échec.

Suite aux scandales à répétition révélés par la presse, l’OCDE et le G20 cherchent à mettre en place une véritable coopération fiscale internationale. De nombreux pays ont signé un accord dans ce sens, et voté des lois anti-blanchiment. Mais l’hypocrisie reste encore la règle, car si nombre de places offshore ont adopté des législations conformes aux standards internationaux, il ne s’agit  la plupart du temps que de postures de pure façade. Comme il n’y a pas de contrôle a posteriori, elles n’ont guère eu à modifier leurs comportements dans les faits.

Il semble que les paradis fiscaux ont encore de beaux jours devant eux…

* aux éditions Les Liens qui Libèrent, novembre 2022 (263 pages)

** Renaud Van Ruymbeke est décédé en mai 2024, à l’âge de 71 ans