C’est la vedette incontestée des indicateurs économiques, la seule référence récurrente dans de nombreux discours politiques ou d’experts et dans les médias : le PIB – Produit intérieur brut –, valeur de toute la production de richesse annuelle d’un pays.
En réalité, le PIB ne prend en compte que les productions donnant lieu à des flux financiers : biens et services vendus sur le marché, mesurés par leurs prix (entreprises), ou services rendus par les administrations ou institutions, mesurés par leurs coûts (enseignement, santé, culture…). Les productions domestiques n’y sont pas : préparation des repas, potager, éducation des enfants, entretien et réparation du logement, bricolage… l’entraide familiale et de voisinage non plus : garde des enfants, soins et accompagnement des personnes en perte d’autonomie, « coups de main » divers… Ni le bénévolat associatif, pourtant très développé. Le PIB ne mesure donc pas toute la richesse du pays, loin de là.
De plus, l’exclusivité qui lui est accordée depuis les année 1950, et qui perdure, est le reflet de la fièvre productiviste qui s’est emparée du monde : l’indicateur ne prend en compte que le quantitatif, sans aucun souci du qualitatif. Les dimensions humaine, sociale ou environnementale du développement n’y ont pas leur place : protection sociale, qualité de vie (environnement sain, épanouissement par les loisirs) ou espérance de vie en bonne santé, par exemple, sont totalement ignorées. Le quantitatif on vous dit ! Jusqu’à l’absurde.
Prenons le cas fictif d’André Dupont. Jeune cadre dynamique plein d’avenir à 30 ans, sa trajectoire dévie autour de la quarantaine. Il rencontre des problèmes au travail, finit en dépression, et la spirale infernale s’enclenche. Il est mis sous anti-dépresseurs et consulte régulièrement un psychologue. Sa relation conjugale se dégrade, et se termine par un divorce. Très affecté, il n’est plus que l’ombre de lui-même et perd sa concentration, ce qui l’amène à avoir un grave accident de la route. Il est hospitalisé pendant des semaines, et gardera des séquelles. La cigarette est un dérivatif à ses problèmes : il fume de plus en plus, et l’année de ses quarante cinq ans, on lui détecte un cancer des poumons pour lequel il va suivre un traitement lourd.
L’histoire ne dit pas s’il s’en sortira, mais un fait restera incontestable : notre André a contribué au PIB comme personne, un véritable héros économique, qui a fait chauffé la machine en fournissant de l’activité à tout un panel de métiers : personnels de santé, psychologue, pharmacien, buraliste, avocat, garagiste. Pourtant, sa vie aurait été bien meilleure s’il n’avait pas contribué de cette façon à la « richesse » nationale. Quant à son impact sur l’IDH – Indice de développement humain, qui cherche à évaluer le niveau de développement d’un pays en se fondant sur la qualité de vie de ses habitants –, il aura été négatif…
En 2021, le PIB de la France a fait un bond de 7% par rapport à l’année précédente. La publication du chiffre entraîna un concert de louanges médiatique. Le bien-être des français a-t-il pour autant progressé dans les mêmes proportions ? Les sondages de fin d’année sur « le moral des français » – évalué, lui aussi, sur des critères exclusivement économiques et sociaux qui sont loin d’être les seuls à peser sur le « moral » des gens – laisseraient plutôt penser le contraire.
Il est temps de remettre le PIB à la place qu’il n’aurait jamais dû quitter : celle d’un simple indicateur économique parmi d’autres indicateurs qui, pris dans leur ensemble, donneraient une idée plus juste du développement d’un pays.